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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/265

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l’abbaye d’évolayne

bénir quand c’est autrui qu’elle déchire. Savez-vous si, clémente et supportable pour vous, elle n’a pas pour lui un aiguillon si dur qu’il vous ferait crier grâce s’il s’attachait à votre chair. Ah ! cruel, cruel, prends en toi mon cœur, prends mon amour, toi qui n’as jamais aimé et essaye maintenant d’être en paix, avec ce feu dans la poitrine, cette réclamation dévorante.

Il écoutait, tremblant, le cri de cette suppliciée, sans songer à l’interrompre. Il lui avait été livré pour une juste expiation. Ses paroles, prononcées déjà hors du temps, le marquaient pour toujours, mais il ne les trouvait pas trop sévères. Il les ratifiait et les complétait en lui-même, s’accusant sans ménagements.

Il se rappelait le jour où, dans les bois, pâle, échouée contre lui, Adélaïde avait avoué sa faiblesse, gémissant : « C’est trop, c’est une chose pire que la mort ! » Pourtant, sans trouble, il l’avait poussée vers l’immolation. Parce qu’il tirait de sa propre peine un enrichissement, il n’avait pas prévu qu’elle serait, par la sienne, appauvrie et ruinée. Maintenant seulement il comprenait la diversité infinie des natures, la fragilité désastreuse des cœurs, la gravité des passions. Maintenant enfin, il condamnait son long aveuglement.

Cependant l’exaltation même du poison ne pouvait changer la nature d’Adélaïde, ni la rendre implacable. Déjà elle avait rejeté tout ce que son cœur contenait d’amertume et de colère. Regardant le visage décomposé du moine, elle eut horreur de sa dureté et, lui jetant les bras autour du cou :