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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/273

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l’abbaye d’évolayne

vite, bénissant le sommeil commençant de la terre et des créatures que le repos nocturne livrait à Dieu. Il croyait au bonheur universel, parce que son cœur était en paix.

Comme il rentrait à l’abbaye, le portier l’arrêta au passage, lui remit une lettre apportée le matin en son absence et qui était, avait-on dit, des plus urgentes. Après cette longue journée passée au milieu des hommes, le moine eût aimé se détendre avant le dîner dans une demi-heure d’oraison, mais il était habitué à compter pour rien sa volonté, à sacrifier toujours ses goûts au plus pressant devoir. Quel que fût l’ami ou l’importun qui le réclamait, il se tenait prêt à servir ce solliciteur avec une charité prompte.

Sans aucun mécontentement, sans curiosité, sans hâte, mais sans retard, il ouvrit la lettre, déchiffra le court billet qui portait la signature de Michel.

Jamais, depuis vingt ans qu’il connaissait le père Athanase, le frère qui attendait près de lui dans l’indifférence n’avait vu apparaître sur ce visage un tel bouleversement. Les traits se convulsèrent. Le teint foncé prit une pâleur terreuse, le regard devint fixe, se chargea d’interrogation et d’épouvante. Pourtant, se sentant observé, le religieux reprit vite un calme apparent :

— Cher frère, dit-il d’une voix à peu près naturelle, voulez-vous prévenir le père Abbé. Je suis appelé auprès d’une mourante. Peut-être ne pourrai-je pas rentrer ce soir.

Il sortit aussitôt. La nuit sereine se referma sur lui. Caché en elle, il se recueillit un moment. Une prière éperdue s’exhalait de son cœur pour