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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/275

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l’abbaye d’évolayne

L’odeur froide et violente de l’éther fut la première chose qu’il perçut. Elle créait avec la pénombre l’atmosphère propre à la maladie. Une lampe électrique autour de laquelle on avait enroulé une écharpe de soie ne projetait qu’une clarté atténuée dans la pièce. Tout y était bouleversé par la lutte que, durant plusieurs heures, trois hommes venaient de livrer à la mort. Pour pouvoir se mouvoir librement dans cet étroit espace, ils avaient entassé les meubles les uns sur les autres. Certains étaient renversés. Des mains hâtives avaient plongé dans les tiroirs, dans les placards qui restaient béants. Çà et là gisaient des vêtements de femme, des linges, des serviettes. Sur la toilette s’alignaient, auprès d’une trousse médicale, le réchaud à alcool, des ampoules brisées ou intactes, des médicaments divers. Le lit était en partie caché par la silhouette haute et sombre de Michel. Il se tenait penché sur une forme blanche qui s’agitait entre ses bras. Au bruit que fit la porte en s’entr’ouvrant, il tourna la tête et, reconnaissant le père Athanase, l’arrêta d’un signe.

— Pas maintenant, dit-il très bas, n’entrez pas en ce moment, vous l’effraieriez.

Le mal avait pris la forme de la peur. Autour d’Adélaïde, tout n’était plus que menaces, périls, visions affreuses. Elle distinguait à peine les objets réels, dont les contours se perdaient parmi des zones indéterminées d’ombre et de lumière, mais son imagination créait sans cesse dans le vide des figures hideuses. Elle les désignait avec des gestes apeurés en se cachant contre Michel. Son délire était d’autant plus pénible qu’il ne pouvait s’ex-