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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/282

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l’abbaye d’évolayne

perdit la race humaine. Milton l’a supposé : Adam ne mangea pas le fruit de mort par faiblesse ou égarement, mais en pleine lucidité, avec horreur, simplement parce qu’Ève ayant failli, il ne voulut pas qu’elle fût perdue sans lui. Michel obéissait à un sentiment analogue. L’homme qui avait sacrifié jadis son amour à Dieu, aujourd’hui, par un subit renversement, subissait l’affreuse tentation de sacrifier Dieu à son amour. Il expliqua :

— Elle m’a dit : gardez le ciel, laissez-moi l’ombre et l’abîme. Père, ce n’est pas possible. Mon sort ne sera plus séparé du sien. Je veux être maudit si elle est maudite. Je sais que l’Église lui refusera la sépulture religieuse. Je ne resterai pas dans l’Église.

Le père Athanase l’enveloppa de ses bras et, penché sur lui, il insufflait sa vie à cette âme qui se mourait aussi.

— Vous vous trompez, mon ami, mon enfant, vous êtes égaré, malade. L’Église n’est pas si dure. Le suicide est à ses yeux, certes, un grand crime. Mais elle ne rejette pas ceux qui l’ont accompli dans la démence, encore moins ceux qui ont eu le temps de s’en repentir. Votre femme a subi une épreuve redoutable. Elle s’est trompée, elle nous a trompés tous, dominée par une passion qui, légitime en soi, devint avec le temps, démesurée, folle, idolâtre. Vous avez été son Dieu !… Et pourtant sa vie ne fut pas sans générosité. Si le désespoir de l’amour déçu l’a perdue pour la terre, le Christ peut encore la sauver pour l’éternité. Rappelez-vous que son dernier geste fut vers Lui.

Alors une pauvre lueur, une très lointaine flamme d’espoir apparut dans les yeux de Michel.