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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/284

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l’abbaye d’évolayne

accroissement ni diminution participait à l’éternel et l’air qui entrait par la fenêtre entre-baillée, en fraîchissant avec la nuit, marquait seul autour d’eux la marche lente du temps.

Puis soudain, quelque chose de nouveau se produisit. Le râle d’Adélaïde faiblit, faiblit, cessa complètement. Les sanglots de Michel éclatèrent tout haut. Le père Athanase s’était levé. Avec une dignité souveraine, il enveloppa d’un grand signe de croix le corps qui palpitait encore. À cet instant suprême où il est dit que l’âme fait son choix et, devant l’éternité ouverte, accepte ou refuse pour toujours la grâce offerte, certain que tout l’amour dont elle avait brûlé sur terre se fixait maintenant sur son objet réel, il répéta une fois encore la formule de l’absolution. Il l’achevait, quand un souffle assez fort, péniblement passa les lèvres de la mourante, puis un autre souffle, plus faible, puis, après un long intervalle, le dernier.

Bien que les deux prêtres songeassent surtout à l’âme envolée, ils furent doux pour la pauvre chair qu’elle avait habitée, compagne d’une longue souffrance. Ils lui rendirent pieusement les derniers honneurs. Quand Michel eut fermé ses yeux, lissé doucement ses cheveux, enroulé autour de son cou une écharpe qui cachait la bouche, restée légèrement entr’ouverte, Adélaïde reprit une passagère splendeur. Ses traits contractés se détendirent, les plis profonds creusés sur son visage s’effacèrent. La mort avant de la détruire la para de suprêmes grâces. Elle sortait des humiliations de l’agonie affinée, dématérialisée en quelque sorte, ainsi qu’un être qui a passé par la torture et sa beauté prenait à la fois un caractère grave