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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/285

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l’abbaye d’évolayne

et enfantin, unissait la majesté de la douleur et de la science à la jeunesse intangible qui vient de l’éternité.

Elle gisait pâle, démunie de tout, mais on eût dit que sa forme, abandonnée par l’esprit, demeurait chargée d’une révélation suprême. La femme qu’elle avait été, longtemps cachée sous les flots mouvants de la vie, à travers les eaux étales, limpides de la mort apparaissait en transparence dans sa vérité absolue. Et ceux qui la veillaient la comprenaient enfin. Trompés par son ardeur, sa noblesse, sa force apparente ils n’avaient point reconnu en elle l’incurable infirmité de l’amour humain. Ils s’étaient plu à la croire libre, ailée, lucide, alors qu’elle avait tous les membres liés, ce bandeau sur les yeux, ce glaive en travers du cœur. Mais quelqu’un connaissait sa faiblesse devant qui se tenait à présent son âme tremblante, marquée des souillures de la vie.

Les deux prêtres assistaient cette âme en peine. Michel priait dans la nuit :

« Pitié pour celle qui n’a su t’aimer qu’à travers tes ouvrages et qui n’a point dépassé le monde des signes, des formes, des images.

« Captive des illusions sensibles, elle eut peur de ton silence et de ta beauté cachée. Elle demanda le bonheur infini à l’être éphémère, mais elle fut seule entre ses bras. Elle ne comprit pas et ne fut pas comprise, elle eut pour croix un corps vivant.

« Condamneras-tu l’amour humain, Toi qui fis l’homme et la femme l’un pour l’autre, afin qu’ils se déçoivent s’ils ne se cherchent pas en Toi ?

« La douleur qu’ils s’apportent pour seul présent leur enseigne en secret ta nécessité, les livre, dé-