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l’abbaye d’évolayne

dont l’exigence dépassait toujours ce qui lui était accordé :

— Non, protesta-t-elle sourdement, non, cette vie ne me suffit pas pour l’aimer, elle est trop courte et imparfaite, il me faut l’éternité.

— Ah ! s’écria le moine, prompt à profiter de la moindre défaillance de l’adversaire, l’éternité, vous l’admettez donc ?

— Voyez-vous, expliqua-t-elle, les yeux pleins de larmes — car elle se rappelait les heures les plus cruelles de son passé — quand je savais Michel près du front et que les nouvelles étaient rares, je l’ai parfois cru mort, mais non point tout entier. Je pensais qu’une balle, un obus ne pouvait détruire qu’une part de lui-même, et que mon amour pour lui ne pouvait non plus mourir. Oh ! je crois que nous sommes les créatures d’un Dieu juste, mais lointain, inaccessible ! Tout cela est très obscur.

— Vous ne cherchez pas la lumière !

— Eh bien ! non, avoua-t-elle, — car ce débat la déchirait. — L’homme ne peut rien comprendre à l’infini. Pourquoi donc remuer d’insolubles problèmes. Il faut vivre dans le présent — mais elle n’y parvenait pas — Michel et moi nous sommes vivants et heureux !

Le père soupira :

— C’est un danger que le bonheur ! Quelque chose comme une serre chaude où l’âme en fleurissant s’étiole. Ouvrez une fenêtre, laissez un peu d’air pur passer sur elle. Elle se fane et tombe en ruine.

Encore une fois, Adélaïde crut entendre un secret avertissement autour d’elle et dans son cœur,