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l’abbaye d’évolayne

ans de guerre où Michel était en danger, où il pouvait être tué.

— Qu’auriez-vous fait alors ?

— Ma décision était prise. Lui mort, je l’aurais rejoint.

Elle savait combien cet aveu était impie. Pourtant il lui semblait que le moine, désarmé devant un tel amour, sachant combien Michel en était digne, n’aurait pour son égarement qu’indulgence, pardon, estime secrète. Habitué aux confidences des pécheurs, le père Athanase ne sourcilla pas, mais sa riposte fut une condamnation :

— Le rejoindre ! Où cela ? Pensez-vous qu’il existe un même paradis réservé à ceux qui meurent par courage et à ceux qui meurent par lâcheté, aux héros et aux criminels, aux sacrifiés et aux suicidés ?

Elle rougit, déconcertée. Jusqu’alors elle s’était crue assurée de la sympathie du moine et s’étonnait qu’il ne la comprît pas.

— Vous êtes dur ! dit-elle avec dignité. En certains pays on admire la femme qui ne survit pas à son mari. Ce qui est lâcheté à vos yeux peut s’appeler fidélité héroïque.

Dom Athanase hocha la tête comme devant un mal qu’il jugeait à chaque parole plus grave.

— Michel compte donc seul pour vous ? dit-il. Vous ne vous reconnaissez nul autre devoir qu’envers lui ? Il est le maître absolu de votre âme, son seul but ? Cette vie vous suffit où il vous a été donné ?

Elle fit un signe de dénégation. Elle songeait moins maintenant à répondre au moine, qu’à interroger le mystère de son propre cœur et ce désir