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l’abbaye d’évolayne

diriez-vous d’une mère qui permettrait à son enfant de jouer avec une torche de feu ?

— Elle agira imprudemment s’il est très jeune. Mais elle serait non moins coupable de lui interdire toute initiative, dès qu’il a acquis le discernement de toutes choses : voici le feu qui brûle et consume, mais qui éclaire et qui réchauffe ; voici l’eau qui donne aussi la mort, mais qui lave et désaltère. Voici une arme qui blesse et qui défend, voici le vin qui enivre mais fortifie, voici l’amour qui perd ou sauve, voici le mal que nul ne doit commettre. Elle l’a mis en garde contre tous les dangers. C’est à lui de prendre ses responsabilités. Dieu donna à l’homme une conscience et ses commandements pour guides. Mais il témoigna d’un grand respect pour sa créature en lui laissant la possibilité de choisir. S’il n’avait ouvert devant elle qu’une route, s’il n’avait pas permis qu’elle pût désobéir, il l’eût enchaînée. Il n’aurait eu en elle qu’une esclave, heureuse et pure peut-être, mais une esclave.

— Du moment qu’elle devait courir un tel risque : celui de la perdition éternelle, il eût mieux valu qu’elle fût esclave ou ne fût jamais née.

— Blasphème ! Ce péril où nous sommes, ce combat qu’il nous faut livrer pour l’éviter, c’est ce qui fait la grandeur de notre vie. Sans luttes, il n’y a pas de mérites. Sans libre arbitre et sans épreuve nous n’aurions pas plus de valeur morale qu’une pierre qui tombe, un insecte qui vole.

— Mon père, vous dites cela parce que vous vous croyez sauvé, mais les autres y pensez-vous ?

— Pardon, je ne suis nullement sûr de mon salut, car, prêtre, je porte une responsabilité bien