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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/89

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l’abbaye d’évolayne

deur. Ils ont déjà reçu leur récompense, puisqu’ils sont, le père Athanase l’affirme, si parfaitement heureux.

— Bonheur qui repose sur l’abnégation et le renoncement, le seul qui soit parfait, tout autre bonheur est moins beau.

Elle reçut en plein cœur la parole cruelle, par laquelle il semblait condamner leur vie et leur amour. Elle avait l’impression que son mari lui échappait. Elle devinait en lui des aspirations mystérieuses, un désir dont elle n’était pas l’objet. La menace qui pesait sur sa destinée grandissait et elle ne savait comment se défendre. La pensée lui vint que le père Athanase pourrait peut-être l’éclairer sur ce point. Or, le lendemain, Michel étant parti à Dinant, elle rencontra le moine dans les bois qui avoisinaient l’abbaye. Libre, il lui accorda tout de suite l’entretien qu’elle sollicitait. À cent mètres de la clôture il y avait, sous un grand chêne, un banc où les religieux venaient parfois lire ou méditer. Ils s’y assirent tous deux. Ils dominaient la vallée, visible à travers un léger rideau d’arbres. C’était une heure éblouissante où deux couleurs seulement s’opposaient l’une à l’autre avec un éclat dur, presque aveuglant : le vert de l’herbe et des feuilles, le bleu du ciel. Mais Adélaïde n’accordait nulle attention au paysage :

— Mon père, dit-elle, je voudrais vous parler aujourd’hui, non de moi, mais de Michel.

Elle ajouta avec quelque amertume :

— Car vous le connaissez à présent mieux que moi.

Il inclina la tête sans répondre, ayant horreur