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l’abbaye d’évolayne

une complaisance abjecte. Qu’est-ce que l’adultère pour nous, qu’est-ce que la sensualité, le mensonge, la fraude, la folie du luxe et du plaisir ? rien moins que rien. Dieu nous garde de devenir jamais dur pour le pécheur, mais le péché est une chose tout à fait tragique dont il nous faudrait acquérir l’horreur. Il devrait nous blesser comme la laideur, nous empêcher de respirer comme une atmosphère nauséabonde. Le mal existe, d’où découle toute la douleur du monde. Il nous faut prendre parti contre lui. Les moines, les prêtres, les religieuses ont bien compris cela. Eux seuls possèdent le sens de la vraie charité. Athlètes et guerriers du Christ, ils sont l’armée peu nombreuse, mais héroïque qui pied à pied défend contre les puissances ténébreuses la foule innombrable des faibles, des méchants, des indifférents.

Un matin, à l’heure de midi, comme ils passaient tous deux auprès d’un champ où des frères convers, occupés à faner, s’interrompaient au son de l’angélus et, les mains jointes, le visage brusquement éclairé, quittaient sans effort le monde de l’action pour entrer dans celui de la contemplation, Michel devant ces statues grossières où rayonnait l’âme, s’arrêta bouleversé :

— Il y a une chose dont je suis sûr, murmura-t-il, absolument sûr, c’est que ces hommes sont dans la vérité ; oui, ces humbles chargés de rudes travaux et qui n’ont d’autre repos que la prière sont plus grands que les savants et les sages. Je voudrais parfois me mettre à genoux devant eux.

Sa voix exprimait une telle ferveur qu’Adélaïde en éprouva un subit effroi.

— Faut-il tant les admirer, dit-elle avec froi-