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l’abbaye d’évolayne

— Alors que signifie l’attitude de mon mari ? Pourquoi cette indifférence totale à tout ce qui était sa vie ? Pourquoi se soucie-t-il si peu de sa carrière, de moi ? Pourquoi va-t-il si haut, si loin ? Je ne puis le suivre. On dirait que notre bonheur lui semble impie. On dirait qu’en dehors de la religion, des choses éternelles, rien n’a plus pour lui de valeur ici-bas.

Dom Athanase réfléchissait :

— Michel est un homme simple, dit-il lentement, un homme tout d’une pièce, un homme de foi, qui a toujours eu besoin de s’absorber dans une grande tâche, de se dévouer à une grande idée. Il a servi longtemps la science avec le zèle d’un apôtre et la science l’a trompé. Il a vu qu’elle était impuissante à pacifier la terre. La guerre a fauché, détruit, tout ce en quoi il avait cru. Il est resté sans espérance, vraiment pauvre, vraiment démuni, seul…

— Seul ! songeait Adélaïde. J’existe pourtant, moi qu’il prétend aimer.

— C’est à ce moment, poursuivit le moine, que Dieu, par un prodige de son infinie miséricorde, s’est révélé à cette âme déserte. Presque sans transition, Michel passe du vide à la plénitude, de l’ignorance à la certitude. Il trouve enfin ce qu’il a toujours cherché : la vérité absolue la beauté parfaite, l’être qui ne peut décevoir. Le voilà ébloui par la lumière au point de ne plus voir qu’elle et non les objets qu’elle frappe. En même temps il est accablé par le sentiment de la munificence de Dieu. Ayant reçu, sans avoir rien fait pour cela, la plus grande des grâces, il voudrait y répondre pleinement. De là