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l’abbaye d’évolayne

vient en lui ce dédain du bonheur, ce désir d’immolation, ces aspirations mal définies. Si sa conversion s’était produite dix ans plus tôt, il serait sans doute entré au cloître.

Pas un instant le moine ne devina la jalousie d’Adélaïde. Elle avait posé une question à laquelle il répondait en toute franchise, expliquant la mentalité de son ami telle qu’il la connaissait. Détaché des créatures, il ne pouvait imaginer ce qu’est l’exigence folle de la passion, ni voir en cette femme qui l’écoutait la rivale ombrageuse de Dieu. Mais elle, qui attendait de lui une consolation et que ses paroles déchiraient, lui prêta soudain un plan atroce : il travaillait à la séparer de Michel, à détruire leur amour. Voilà pourquoi il attirait son ami sans cesse à l’abbaye. Il lui représentait la vie des religieux comme le seul idéal qui pût séduire une âme grande. Elle crut comprendre enfin le danger qui la menaçait et bravant le moine, les yeux en flamme, cria :

— Vous n’allez pas me le prendre !

Le père Athanase ne put exprimer que par un regard son immense surprise. Elle ne lui permit pas de parler et reprit avec une violence farouche :

— Je ne vous laisserai pas faire. Quelle que soit l’œuvre que vous avez entreprise et vos vues sur Michel, arrêtez. Vous n’irez pas plus loin. Il est à moi. Il m’a épousée, moi, et non l’Église. Sur cette terre et pour l’éternité je borne son univers. Il m’a épousée devant les hommes et devant Dieu. J’ai droit sur lui. Quoi que vous fassiez, tout est pour moi : la loi, les sacrements, la société, le pape. Non, vous ne me le prendrez pas.