Aller au contenu

Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/99

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
87
l’abbaye d’évolayne

Ces bois sont innocents, mes jeux aussi. Mais pour vous maintenant tout est impur, tout est souillé ; la nature, la poésie, le parfum de la fleur, la femme. Oh ! suis-je vraiment pour vous un piège et une entrave ?

Elle déroula la liane de chèvrefeuille dont elle s’était parée et la lui offrit avec un sourire timide. Il la prit et la laissa tomber.

— Rentrez, ordonna-t-elle d’une voix brève et basse.

— Pourquoi, dit-il, ennuyé mais patient. Continuons notre promenade.

— Rentrez, cria-t-elle hors d’elle-même, laissez-moi seule. J’étouffe auprès de vous. Je ne suis pas une nonne, mais une femme vivante : l’amie des feuilles, l’amie des arbres, l’amie des eaux. Rien ne m’est interdit dans cette forêt, il n’y a pas d’arbre du bien et du mal. Je puis cueillir toutes les fleurs, je veux…

Elle n’acheva pas et s’enfuit en courant, si rapide qu’il n’essaya pas de la poursuivre.

Elle étouffait vraiment. Alors que Michel en se convertissant s’était détaché de tout, elle restait fidèle à ce qu’elle avait aimé. La religion telle que son mari la comprenait opprimait son âme faite pour éprouver les passions humaines. Par un revirement subit, l’abbaye, la prière la lassèrent jusqu’à l’écœurement. Elle eut soif des plaisirs les plus factices. Les cafés de Paris, les théâtres, les dancings, les magasins lui apparurent comme des lieux de délices. Elle se méprisa de désirer si fort les retrouver.

— Nous avons perdu la raison, se disait-elle pour s’excuser, en passant trop brusquement de