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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/98

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l’abbaye d’évolayne

leur les obligea à s’abstenir durant quelques jours de la marche. Puis un orage éclata. Ils sortirent peu après par un temps couvert, tiède, odorant. Ils prirent un sentier étroit qui serpentait dans les bois entre des buissons rapprochés. Adélaïde, se jetant dans les taillis, écartait pour passer les branches lourdes de pluie. Elle riait, les cheveux parsemés de gouttelettes, le cou luisant, et sa robe trempée collait à sa chair. Tout être eût éprouvé du plaisir à la voir s’ébattre ainsi, tant sa grâce était grande et justes les mouvements de son jeune corps qui se détendait, bondissait avec une souplesse animale. Michel cependant semblait blâmer l’ivresse dionysiaque qu’elle éprouvait dans la forêt reverdissante. Un moment, il la perdit de vue et s’assit, pour l’attendre. Elle revint bientôt vers lui, enroulée dans une liane immense de chèvrefeuille. De l’épaule à la ceinture elle était couverte de verdure et de fleurs et elle tendait vers lui ses bras nus, ruisselants.

— Quel âge avez-vous donc Adé ? demanda-t-il, morose.

Elle s’immobilisa, lui posa la main sur la poitrine, avec une expression de curiosité triste.

— Et vous, quel âge ? Combien de siècles ? Est-ce que votre cœur bat encore, rien ne peut-il plus le charmer ?

Il se leva en haussant les épaules.

— Vais-je perdre la tête parce qu’un orage a rendu la forêt plus belle qu’à l’ordinaire ? Vais-je imiter votre folie, participer à ce culte barbare, païen, voluptueux que vous rendez à la nature ?

— Quel mal y a-t-il à cela ? dit-elle doucement. Oh ! Michel vous avez perdu le sens de l’innocence.