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Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/117

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s’ébattaient des personnages de carnaval. Au milieu d’eux, une dame vénitienne se tenait debout, toute vêtue de satin blanc et les épaules couvertes de la baüta de satin noir. Cette dame, qui portait le masque blanc de Venise, avait je ne sais quoi de charmant et d’énigmatique. Quel visage se cachait derrière ce carton léger ? Nous ne le saurions jamais ! Était-elle belle ou laide, la dame au masque ?

Tout en parlant, nous nous étions accoudés à l’appui de la fenêtre, qui était ouverte. Elle dominait un humide et doux paysage d’automne. Les nuées du ciel, longtemps menaçantes, se déversaient maintenant abondamment. On entendait la pluie ruisseler sur les feuilles molles avec son bruit mélancolique. La vieille Sophie et le gardien continuaient, dans la galerie, un colloque animé. Parfois, il y avait un moment de silence, et une odeur de fruits et de feuillages emplissait l’air tiède et mouillé. Soudain, par un mouvement involontaire, mon coude heurta celui de Mme P… Nous nous regardâmes. J’eus l’impression subite, claire et émouvante qu’un masque venait de tomber du visage de Juliette. Il m’apparaissait, ce visage, comme celui d’un être nouveau et différent. Je compris, à ce moment, que Juliette n’était pas la Juliette que m’avait décrite mon ami Néral, et, dès lors, je sus que nos lèvres s’uniraient un jour !… Mais la vieille Sophie nous cherchait, et nous repassâmes devant la dame masquée de la fresque. Quand nous sortîmes dans le jardin, il me sembla que les nains et