Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/123

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

rable cadre précieusement sculpté. À part une bonne console ancienne, le mobilier n’a rien de remarquable. Les nombreux fauteuils sont recouverts de velours d’Utrecht jaune.

Mme  de Préjary occupe un de ces fauteuils, placé en toute saison au coin de la cheminée. À l’accoudoir repose la canne dont elle se sert pour marcher. Auprès d’elle, une petite table à ouvrage pour son tricot. Mme  de Préjary, tout âgée et malade qu’elle soit, est encore charmante. Elle a une figure avenante et ridée. Elle a l’air gai et bon. On ne croirait pas que cette femme souffre depuis de longues années d’un chagrin qui la ronge. Mme  de Préjary pleure encore, comme au premier jour, la mort de la fille qu’elle a perdue, cette Cécile dont je connais de si attendrissants portraits. La chambre de Mme  de Préjary, où, hors ma mère, personne ne pénètre, est pleine des souvenirs de cette enfant. Ses jouets, ses robes, ses petits bijoux de jeune fille sont précieusement conservés.

Mme  de Préjary entretient avidement sa douleur, mais, de cette douleur, elle ne laisse rien paraître. Ma mère en est la seule confidente et l’unique témoin. Une fois dans son salon, assise sur son fauteuil d’Utrecht, Mme  de Préjary est une aimable vieille dame. Elle rit et plaisante volontiers. Elle semble encore s’intéresser à la vie des autres. Elle a, d’ailleurs, beaucoup d’esprit. Je m’attarderais avec plaisir auprès d’elle, mais Mme  de Préjary craint toujours d’ennuyer et de contraindre, et c’est elle-même qui m’engage toujours à aller prendre l’air