Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/134

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tie. Vous savez très bien ce que vous valez et vous me connaissez assez pour être sûr que je rends justice à vos mérites. Vous étiez donc mal venu à suspecter mes sentiments. Vous avez toujours été très bon pour moi et je vous en garde une vive reconnaissance. Mais, puisque vous vous montrez si pointilleux, voulez-vous que nous récapitulions ensemble ce que je vous dois ? Cela vous rassurera sur la vérité de mes assertions.

Je n’ai, en effet, eu jamais qu’à me louer de vous, mon cher Jérôme. Quand je vous ai connu, j’étais au couvent. J’ajouterai que j’y étais à un âge où il commence à devenir ridicule d’y être : à dix-neuf ans sonnés. La plupart de mes compagnes avaient déjà pris leur volée. Elles étaient rentrées dans leurs familles pour faire leurs débuts dans le monde. Plusieurs étaient mariées. Ma meilleure amie, Madeleine de Guergis, de chez qui je vous écris, avait déjà convolé en justes et en injustes noces, car dès la première année de son mariage avec M. de Jersainville, elle se vantait d’avoir eu deux amants.

Donc, pendant que mes camarades étaient déjà parties pour la vie, moi, je demeurais derrière les grilles. On m’y gardait un peu par complaisance, à cause de ma vieille parente, la mère Véronique. Ma situation d’orpheline inspirait une certaine pitié à la communauté. D’ailleurs, ma mère avait été élevée, jadis, chez ces Dames de Sainte-Dorothée, en souvenir de quoi j’y étais traitée en pensionnaire privilégiée. Cependant, à moins de prendre le voile, ce dont je n’avais nulle envie, je ne pouvais m’éterniser là. Mon avenir me préoccupait.

Il n’était pas couleur de rose, mon avenir ! Ma mère, en mourant, m’avait laissée presque sans fortune. Ma pauvre maman n’a jamais été très bon comptable, et l’héritage de mon père avait fondu entre ses jolies mains paresseuses. Une fois hors du couvent, que