Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/172

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

moi, au sens profond du terme. Ah ! vous eûtes pour moi des attentions délicates, mais vous ne me témoignâtes pas cette attention vigilante dont je vous parlais tout à l’heure ! Jamais vous ne montrâtes aucune curiosité des changements qui pouvaient se produire en moi. Et, cependant, je changeais à votre insu, parce que tout change et que c’est la vie. Et c’est pourquoi, peu à peu, mon bon Jérôme, voyant que vous ne vouliez pas de moi, je me suis reprise. Vous en étiez resté à la Laure de Lérins, remarquée par vous au parloir du couvent. Vous ne vous aperceviez pas qu’une autre personne s’était formée en elle. Celle-là semblait ne vous concerner point et vous demeurait étrangère. Vous ne vous êtes jamais avisé de sa présence, inquiété de ses aspirations, de ses rêves, de ses besoins. Dans la comédie de notre vie, vous n’avez pas joué le rôle de « l’Indifférent », vous avez joué celui de « l’Inattentif ».

Telle fut notre histoire sentimentale, mon cher Jérôme. Si je vous l’expose ainsi, ce n’est nullement pour m’en plaindre. Ce qui a été devait être. C’est égal, vous n’avez guère deviné mes goûts d’indépendance et de liberté ! Mais passons. N’allez pas croire surtout que mes explications ont pour but de revendiquer contre vous quelque supériorité au nom de ma clairvoyance. Nullement ; ce que je vous en dis n’a d’autre motif que de vous avertir d’un danger possible. Votre Alicia est une charmante compagne, mais prenez garde de ne pas renouveler avec elle la faute que vous avez commise envers moi. Elle aussi changera ; son caractère se modifiera. Les femmes sont les moins invariables de tous les êtres. Observez Alicia avec soin. Ne la laissez pas se transformer à votre insu, sinon, elle vous échappera. Soyez attentif, Jérôme. C’est la recommandation que vous adresse mon amitié… Ne voyez là aucun regret,