Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/173

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mais une simple remarque d’intérêt pour la durée de votre bonheur.

Je ne terminerai pas cette lettre sans vous répéter ce que je vous ai déjà écrit. Je suis heureuse de ma nouvelle existence. La vie à Paris, comme je la mène, est délicieuse et je la recommanderais à quiconque a le goût de l’indépendance et de la solitude. Nulle part, mieux qu’à Paris, on ne peut satisfaire cette disposition d’esprit et cependant je vais, de moi-même, y porter atteinte. Ne riez pas de ces contradictions, elles sont bien féminines. Oui, je m’apprête à quitter mon cher petit hôtel Manfred, où je me suis acoquinée depuis mon retour des Guérets et dont je commence à devenir une des doyennes, non d’âge, Dieu merci, mais de séjour. Dès demain, je vais donc me mettre sérieusement en quête d’un appartement et me résigner à rentrer dans la vie civilisée, car, jusqu’à présent, j’ai vécu à Paris comme une véritable sauvagesse. C’est pourquoi, afin de me préparer à reprendre rang dans la société, je vais entreprendre courageusement la tournée de visites aux quelques vieilles amies de ma mère qui me restent et dont quelques-unes se sont vaguement intéressées à moi. C’est une formalité ennuyeuse, mais vraiment indispensable, car ce sont les vieilles dames qui disposent de notre réputation. Heureusement que l’ennui de ces visites sera quelque peu compensé par les spectacles comiques qu’elles m’offriront sûrement. Je vous écrirai l’accueil que j’aurai reçu de ces Parques. Cela vous amusera, ainsi qu’Alicia. Je la vois d’ici, haussant ses belles épaules et vous répétant avec son air sage et positif : « Ces Françaises sont folles ! »

Elle aura raison dans les trois quarts et demi des cas, mais pas du tout en ce qui me concerne. Mes projets sont, au contraire, fort raisonnables. Comptant vivre à