Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/181

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famille. En effet, toute duchesse de Pornic qu’elle soit, elle est encore plus fière, s’il se peut, d’être née Le Rebufard de la Verlade et d’être la fille du comte Le Rebufard, ministre de l’Intérieur du roi des Français, Louis-Philippe. Aussi est-ce à ce sentiment qu’elle a obéi en encombrant l’hôtel de la rue de Beaune de l’abominable mobilier, à elle légué par ce vieux fripon de Le Rebufard. Je ne vous en décrirai pas les abominations. Elles déshonorent les salons qu’ornent, avec une affreuse et lamentable profusion, plusieurs portraits en pied de ce célèbre et vilain personnage. On l’y voit en tous les costumes de ses charges, avec sa figure revêche et chafouine, sa mine sèche et niaise. Quant aux effigies des Pornic-Lurvoix, on les tient sûrement en petite estime. J’ai pu m’en apercevoir en traversant la cour de l’hôtel. La porte de la remise était ouverte et un cocher, à dégaîne de sacristain, nettoyait, on eût dit avec de l’eau bénite, le vernis écaillé d’un antique trois-quarts. Au passage, je jetai un coup d’œil vers cette remise. Quelle ne fut pas ma surprise ! Sur le mur du fond, accroché là, sans cadre et tout à cru, se carrait un magnifique portrait équestre du maréchal de Lurvoix, le vainqueur du prince Eugène et de Marlborough. Le vieux maréchal, avec sa perruque, sa cuirasse, son manteau, son cordon bleu et ses grosses bottes à entonnoir, dirigeait, de son bâton fleurdelysé, une bataille symbolisée par la grenade qui éclatait entre les jambes de son cheval. Il avait une autre figure tout de même, le Lurvoix de la remise, que le Le Rebufard du salon !

Le plus comique, c’est que la duchesse ne traite pas beaucoup mieux son mari que ses ancêtres militaires. Le pauvre général de Lurvoix a eu la vie dure avec son épouse, aussi prit-il le parti de devenir doucement gâteux. Cela commença qu’il était encore en activité, si