Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/182

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l’on peut dire, et mon père lui facilitait adroitement sa besogne. Malgré tout, il dut se faire mettre en retraite. Il était en piteux état la dernière fois que je le vis. Ma mère était déjà bien malade à ce moment. Elle m’avait amenée avec elle en visite chez la duchesse, qui, voyant que je m’ennuyais, m’avait envoyée goûter à la salle à manger. Le général était occupé à accomplir la même cérémonie en compagnie de son domestique. Il était assis, la serviette nouée au cou, comme un enfant. Le domestique lui faisait boire son chocolat à la cuiller, en tirant parfois la ficelle d’un beau pantin costumé en zouave, ce qui amusait fort M. le duc, qui témoignait de son contentement en battant des mains et en salissant sa serviette.

Quant à la duchesse, elle est imperturbable et je l’ai retrouvée toujours la même, malgré ses soixante-dix ans bien sonnés. C’est une petite femme, presque nabote, avec une grosse tête et d’énormes mains. Son corps chétif est dissimulé dans une sorte de houppelande. Elle porte un tour de cheveux gris et deux longues papillotes. Je l’ai trouvée assise sur une chaise basse, ses fortes mains croisées sur son ventre rond, ce ventre qui fut le malheur de sa vie, car il n’a pu donner à la maison de Pornic-Lurvoix l’héritier qui eût perpétué en même temps l’intéressante race des Le Rebufard. Et c’est ce que lui semblait reprocher amèrement le portrait en pied du ministre, sous le regard irrité de qui la duchesse et moi entamâmes conversation.

Je ne vous rapporterai pas, par le menu, mon cher Jérôme, le détail de cet entretien historique. Je vous en résume seulement les points importants. Le principal était pour moi de savoir l’opinion de la duchesse sur ma position de divorcée. Me recevrait-elle en quelque sorte incognito ou me compterait-elle parmi ses relations