Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/184

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à tous les Le Rebufard qui grimaçaient sur les murs du salon. L’honneur eût été grand, mais j’eusse préféré faire ma révérence au bon maréchal de Lurvoix, si gaillard au fond de sa remise. Hélas ! je ne le vis plus en sortant. La porte était fermée… Au même moment, le trois-quarts attelé d’un antique cheval s’ébranlait. Affalé sur des coussins, j’entrevis le duc qui partait pour sa promenade quotidienne… Il me parut bien affaibli, le pauvre vieux, et je crains, sans jeu de mots, qu’il n’aille pas loin !

Si telle est, mon cher Jérôme, la première cariatide de ma future situation mondaine, la seconde ne mérite pas moins que je vous trace son portrait. Il s’agit de Mme  Grinderel, la femme de Grinderel, l’éminent administrateur des Banques Réunies. Si la duchesse de Pornic a son hôtel sis rue de Beaune, celui de Mme  Grinderel est situé rue de Monceau. Je ne sais plus où ma mère avait connu les Grinderel, mais je me souviens très bien d’être allée une ou deux fois chez eux et que Mme  Grinderel vint un jour me voir au couvent. Cela suffisait pour que je la misse sur ma liste.

Mme  Grinderel, du reste, m’a reçue fort aimablement, et je vous dirai que ma visite ne me fut nullement désagréable, non que j’aie pris grand plaisir à causer avec Mme  Grinderel, mais parce qu’en lui parlant j’avais sous les yeux les quatre admirables tableaux de Chardin qui ornent le grand hall de l’hôtel. Ce sont quatre natures mortes représentant, l’une, un pain et un citron ; l’autre, un chaudron avec des fruits ; la troisième, du gibier, et la quatrième, du poisson. Ces quatre Chardin, chez Mme  Grinderel, ont l’air de tableaux de famille, car Mme  Grinderel est de la race des grandes bourgeoises. Ils ont comme une importance d’emblème. Mme  Grinderel, en effet, semble plus faite pour aller au marché que dans