Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/191

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gnité publique de mensonge ou, au moins, d’exagération, tandis qu’après ce que Madeleine de Jersainville m’a raconté aucun doute ne m’est permis. Il m’est impossible d’ignorer que mon amie a une conduite déplorable et une facilité de mœurs tout à fait répréhensible. Je ne l’en aime pas moins, mais j’ai quelque embarras à l’aimer.

Aussi serais-je heureuse de lier intimité avec une personne moins voyante que ma pauvre Madeleine. Oui, je serais heureuse d’avoir une amie, mais je ne peux compter, pour m’en procurer une, que sur la bienveillance du hasard. Quelquefois, des circonstances de famille et d’éducation se chargent de nous fournir une compagne de cœur et d’esprit à notre convenance. Ces amitiés-là sont précieuses et ont chance de durer toute la vie. Or, cette chance-là, je ne l’ai pas eue. C’est donc au hasard seul que je m’en dois remettre. C’est à lui de m’offrir cette chose rare et charmante, une amie — ou un ami.

L’amitié, pour moi, en effet, peut aussi bien exister entre un homme et une femme qu’entre deux femmes ou deux hommes. Les rapports de goût, les échanges d’esprit qui constituent l’amitié n’exigent nullement une identité de sexes. Il me semble que je pourrais très bien éprouver de l’amitié pour un homme sans qu’il s’y mêlât rien de trouble ni d’équivoque. J’en tenterais volontiers l’expérience. J’aurais grand désir de sortir de cette solitude de cœur où j’ai vécu jusqu’à présent, mais je ne souhaite nullement d’en sortir par l’amour. Peut-être ne penserai-je pas toujours ainsi et connaîtrai-je l’heure où renaîtra en moi le désir d’aimer. J’ajoute, même, que je la verrai venir sans appréhension. Si le cas se présente, je vous en avertirai, mon cher Jérôme, ce sera un moyen pour moi de m’éclairer sur