Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/219

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et une situation insoutenable, si bien qu’un beau jour je me suis résolue à en sortir et à tenter une expérience décisive.

Cette expérience, c’est mon amie Madeleine de Jersainville qui m’en a fourni le moyen et c’est le hasard qui m’en a donné l’idée. Voici donc comment les choses se sont passées.

Il vous paraîtra peut-être singulier, dans les termes où je suis avec Madeleine, et étant données mes relations presque quotidiennes avec M. Delbray, que Mme  de Jersainville et M. Delbray ne se connussent pas. Il en était pourtant ainsi et la pensée ne m’était jamais venue de les mettre en rapport. Cette constatation, quand je la fis, ne laissa pas, je vous l’avoue, de me suggérer certaines réflexions. Pourquoi, en somme, avais-je évité que Madeleine et M. Delbray se rencontrassent ? En y songeant, il y avait dans cette conduite une intention indéniable de ma part. Je n’avais eu aucune envie de mettre en présence Madeleine et M. Delbray. Ne devais-je pas reconnaître là, pour être franche avec moi-même, quelque chose de prémédité ? N’était-ce point un indice dont je pouvais tirer quelque éclaircissement au sujet de la question qui me préoccupait ? N’y avait-il pas là trace d’un peu de jalousie préventive ? M’aurait-il été très agréable que M. Delbray fît trop attention à Mme  de Jersainville ou que Mme  de Jersainville fît trop attention à lui ?

Je pensais donc à cela, l’autre jour, en regardant Madeleine de Jersainville. Elle était assise sur un tabouret bas, aux pieds de ma chaise longue. Elle me racontait, en riant, une de ses récentes folies. À ce moment, on sonna à la porte. La femme de chambre introduisit Julien Delbray. Je ne l’attendais pas, ce jour-là, et je n’avais pas donné d’ordres à son sujet, mais sa présence