Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/220

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en cet instant me contraria un peu. Néanmoins, je lui fis bon visage et je le nommai à Mme de Jersainville. M. Delbray venait m’annoncer que le départ du yacht de Mme Bruvannes était fixé au 2 ou 3 juin.

Antoine Hurtin se décidait enfin à embarquer sur les mers sa neurasthénie, selon l’ordonnance du docteur Tullier. À ce nom, Madeleine, qui paraissait s’être désintéressée de notre conversation, demanda à M. Delbray s’il avait revu les Tullier depuis une certaine soirée de danses espagnoles où ils s’étaient trouvés placés non loin l’un de l’autre, sans savoir qui ils étaient. M. Delbray se souvenait fort bien du voisinage et je constatai même qu’il en avait mieux gardé la mémoire que de notre rencontre, à nous, au restaurant Foyot, et j’en ressentis un peu de mauvaise humeur qui se dissipa pourtant, lorsque M. Delbray m’eut dit qu’un de ses amis de Bretagne, M. de Kérambel, avait acheté à une vente, aux environs de Guérande, une fort belle console Louis XVI, dont il voulait maintenant se défaire. M. de Kérambel, sachant le goût de son ami Delbray pour les vieilleries, lui avait envoyé la console. M. Delbray était venu me proposer de passer chez lui pour voir si le meuble me conviendrait.

M. Delbray attendait ma réponse et je vous avoue, mon cher Jérôme, que j’étais quelque peu étonnée. Jamais M. Delbray ne m’avait demandé de venir chez lui. Il m’était arrivé plus d’une fois, au cours de nos promenades, de le déposer à sa porte. Jamais il ne m’avait offert de monter. Il me parlait souvent de bibelots qui ornaient son appartement et jamais il n’avait témoigné le désir de m’en faire les honneurs.

Comment se faisait-il que M. Delbray se départît de sa réserve habituelle en présence de Mme de Jersainville et sous un prétexte aussi futile ? Rien ne pressait que