Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/265

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sans parler, et nous nous sommes promenés silencieusement dans le vaste cloître ensoleillé… Mme de Lérins s’est arrêtée devant les deux têtes de mort, couronnées de laurier, qui ornent la balustrade du préau. Le petit musée, installé dans la Chartreuse, n’est pas arrivé à la distraire de sa mélancolie, malgré les cocasses souvenirs de la vieille vie napolitaine, malgré les portraits de comédiens et de pitres, les tableaux de scènes populaires, malgré l’étonnant carrosse où Victor-Emmanuel et Garibaldi firent à Naples leur entrée triomphale, malgré la délicieuse crèche aux cent figurines costumées et peinturlurées. Au moment où nous allions nous en aller, le gardien nous a fait signe de le suivre. Il s’est dirigé vers une fenêtre, qu’il a ouverte. Elle donnait sur un petit balcon.

Mme  de Lérins a poussé une exclamation de surprise joyeuse. Ce balcon était en suspens sur le vide ; accroché à la muraille à pic du vieux couvent, il dominait tout Naples, avec ses clochers, ses toits, ses maisons, ses places, ses rues, son port, Naples ensoleillée, mouvante, vivante, Naples dont le murmure profond et turbulent parvenait jusqu’à nous dans une rumeur sourde et lointaine. Au sortir de ce cloître aux têtes de mort laurées et de ce musée de figures peintes, de vieilleries, de poupées, cette vaste ville matinale, active, colorée était comme un appel à la vie. Mme  de Lérins s’était rejetée en arrière, comme prise de vertige, et les yeux fermés. Et j’ai été sur le point, à cette minute, de la saisir entre mes bras, de porter mes lèvres sur ses