Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/266

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yeux clos, de mêler ma voix à cette rumeur humaine qui montait jusqu’à nous, et de lui dire enfin mon amour, mon tourment, mon espoir. Mais le gardien s’est rapproché et elle a brusquement quitté le balcon, tandis que je remettais à l’homme le pourboire qu’il attendait.


Pourquoi ne veut-elle pas m’écouter ? Pourquoi semble-t-elle ne pas vouloir entendre l’aveu de mon amour ? Hélas ! je tremble de trop comprendre les raisons de cette attitude. Il y a un sujet qu’elle ne veut pas me laisser aborder. Et il en est ainsi, hélas ! parce qu’elle est bonne, parce qu’il lui en coûte peut-être d’avoir à me désespérer, de me dire que jamais elle ne m’aimera, que jamais elle ne sera à moi. Mais alors, pourquoi est-elle venue sur ce bateau, pourquoi a-t-elle accepté de prendre part à cette croisière qui devait nous mettre côte à côte pendant de longues journées ? Pourquoi aussi, parfois, a-t-elle l’air de m’attirer vers elle par un geste, par un regard ? Et cependant, elle n’est ni cruelle, ni coquette. Je l’ai toujours trouvée franche et loyale. Si je lui déplaisais, elle ne m’aurait pas permis, depuis quatre mois, d’être le compagnon assidu de ses promenades. Parfois, depuis le commencement de ce voyage, il me semble qu’elle me considère avec une nuance particulière d’attention et d’intérêt. On dirait qu’elle m’observe, qu’elle m’étudie. Elle cherche à connaître mes goûts, mes idées sur