Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/27

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beau jour de janvier, comme celui-ci. Le froid était extrêmement vif, cette année-là, et, comme il durait depuis plus d’une semaine, le Grand Canal était pris. Je me souvenais que je m’en étais aperçu, encore dans le train, et je revoyais les deux jeunes filles qui étaient montées dans le compartiment où je venais de m’installer. Elles étaient charmantes. Dix-huit ou vingt ans, et coquettement habillées. De gentilles toques de fourrures les coiffaient. Elles portaient aux bras des patins d’acier qui figuraient le double croissant de ces jeunes Dianes parisiennes. Elles allaient à Versailles pour patiner. Elles parlaient entre elles du plaisir qu’elles se promettaient, des amis qu’elles devaient retrouver. Elles citaient des noms. Leur mère, une vieille dame à cheveux de neige, souriait, tandis que, de temps en temps, sur le tapis du wagon, frémissaient leurs petits pieds impatients. Parfois, les patins qu’elles balançaient tintaient avec un bruit clair, argentin, aigu, avec un bruit de jeunesse et de gaieté. J’aurais voulu les suivre sur la glace argentée, comme elles y glisser dans l’air vif. Et je me disais tout bas : « À laquelle des deux m’attacherais-je ? L’aînée est la plus jolie, mais la plus jeune a bien de la grâce. » Et j’étais hésitant et incertain, quand le train s’arrêta en gare. Les deux voyageuses avaient prestement sauté sur le quai. Trois jeunes gens les attendaient. Il y eut des poignées de mains, des rires rapides et frais. Les patins tintèrent de nouveau et la bande joyeuse disparut.

Que Versailles était beau, ce jour-là, et, pour-