Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/296

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2 juillet. En mer. — Voici juste un mois que nous avons quitté Marseille et nous sommes en route pour Malte. Depuis la journée de Monreale, je vis dans une sorte de fièvre, dans un rêve inquiet et ravi. La même vie a continué à bord. Les mêmes petits faits s’y sont reproduits régulièrement. Antoine a toujours les mêmes sautes de santé et d’humeur. Tantôt il semble presque bien, tantôt il retombe dans son hypocondrie. Alors il déblatère contre son existence passée, il peste contre ses folies, s’irrite contre les conséquences déplorables qu’elles ont eues pour lui. Il affiche son mépris des femmes, son dégoût pour tout ce qui le passionnait jadis. D’autres fois, il est tout à l’espoir de sa guérison. Il est gai, il plaisante ; il taquine la pauvre Mme  Bruvannes sur la cour que lui fait Gernon. Il menace Mme  Subagny de détourner M. Subagny de ses devoirs conjugaux, à la première escale. Il est presque galant avec Mme  de Lérins.

Autour de nous les heures passent dans leur ordre accoutumé. Rien de plus monotone que la vie marine. Tout s’y accomplit avec la même ponctualité depuis, le matin, le lavage du pont à grande eau, jusqu’au coup de sifflet qui, au coucher du soleil, donne le signal d’amener les couleurs. Chaque soir ainsi je vois s’abaisser le pavillon et descendre le long du mât la flamme triangulaire où, sur un fond rouge, se contourne un Amphisbène d’or. Puis la nuit vient. Les quarts se succèdent. Les feux de position sont allumés. Je descends dans ma cabine, à moins que je ne préfère m’étendre sur le