Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/329

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retourner ! Maintenant qu’il était riche que ferait-il dans cette bicoque où il avait passé les plus belles années de son existence à vivre comme un rat ? Ah, par exemple, il en avait assez de la province ! C’en était bien fini des promenades à petits pas sous les arbres du mail et des parties d’écarté avec le receveur de l’enregistrement. C’en était fini aussi de la grise Bretagne, de ses brumes et de ses pluies. À présent qu’il avait goûté du soleil d’Afrique, il ne voulait plus entendre parler de la pâle lumière d’Occident ! Ah Guérande et les Guérandois ne le reverraient guère ! Il avait l’intention de louer un pied-à-terre à Paris et de s’installer définitivement en Algérie, tantôt dans la propriété de la tante Guillidic, tantôt à Alger même.

J’écoutais avec étonnement les discours enthousiastes d’Yves de Kérambel. Ils me suggéraient de rapides réflexions. Il est donc vrai qu’il y a un moment où, grâce à certaines circonstances fortuites, la vie s’épanouit en nous, où, tout à coup, nous nous découvrons autres que nous croyions être, où quelque événement imprévu nous révèle soudain à nous-mêmes. Un être inconnu s’éveille en nous avec des désirs nouveaux. D’ordinaire, c’est l’amour qui produit en nous cette transformation. Quelquefois, c’est l’argent qui joue ce même rôle pour certains. C’est le cas d’Yves de Kérambel. Quelques pièces d’or et le voilà presque un autre homme. Mais de quel droit sourirais-je de mon Guérandois ? Ma situation ressemble à la sienne. J’ai rencontré Laure de Lérins, et mon cœur a