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Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/42

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mane qui semblait faite pour quelque sultane d’un Crébillon de Sans-Souci. Vêtu de son immuable redingote, il était, de plus, coiffé d’une calotte de velours noir. Au lieu de ses forts souliers habituels, il était chaussé d’amples pantoufles. C’était la seule concession qu’il eût consentie à la maladie. Encore assez souffrant, il n’avait rien perdu de sa causticité ordinaire. Elle s’est donné carrière, tout d’abord, au sujet du baron Dumont. Feller ne lui pardonnait pas le rhume attrapé à son enterrement. Puis, de Dumont, il en est venu à Gernon. Je lui ai raconté la conférence à laquelle j’avais assisté et l’éreintement que Gernon nous avait offert de son ami Maxence de Gordes. Comme je blâmais ce procédé, Feller s’est mis à rire, en se frottant les mains d’un geste qui lui est familier.

Il paraît que je m’émouvais à tort. Maxence de Gordes eût trouvé la chose toute naturelle et, à l’occasion, en eût fait tout autant. D’ailleurs, de son vivant, il ne se gênait pas pour plaisanter Gernon, son cache-nez, son chapeau de paille, ses manies d’avare. En réalité, Maxence de Gordes et Gernon ne pouvaient pas se souffrir. Gernon était surtout jaloux des succès de Maxence de Gordes, qui fut fort aimé des dames. Gernon lui reprochait d’être un vil débauché et de perdre son temps à des intrigues féminines. Ce n’était pas comme lui, Gernon, qui avait su résister à ses passions et n’avait jamais trompé Mme Gernon, laquelle pourtant était fort laide !