Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/69

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soudain changée en un torrent fougueux. Il y avait en face un vieux palais renfrogné et ventru qui ruisselait d’eau. Devant lui, les escaliers formaient cascade. Le relieur ne faisait aucune attention à ce déluge, qui ne paraissait pas le surprendre, et il maniait complaisamment ses parchemins. Sienne est une ville de tanneries ; un de ses quartiers, celui où se trouve la maison de sainte Catherine, est encore rempli de la même puanteur de cuirs et de peaux où la sainte fille du corroyeur pouvait croire respirer jadis les relents de l’Enfer.

Cependant, l’orage avait cessé. Je m’étais entendu avec M. Pompeo Neroli. À mon retour à Paris, je devais lui faire tenir un ballot de livres à relier. Il me reconduisit au seuil de sa boutique. Sienne, ruisselante, s’égouttait de toutes ses toitures, avec un petit bruit singulier. Le soleil faisait luire les dalles carrées, étinceler les gouttelettes d’eau, et parait la sombre ville d’un chatoiement irisé. Au-dessus de la place du Dôme, une nuée noire se reformait dans le ciel…

Une année se passa. Pompeo Neroli m’avait ponctuellement renvoyé les volumes et je ne songeais plus à lui, lorsqu’un jour Marcellin vint me dire qu’un Italien demandait à me parler. Je lui dis de l’introduire et, à ma grande surprise, je vis entrer Pompeo Neroli, relieur siennois, en personne. Il me confia vite qu’il se trouvait dans une situation précaire et venait s’informer si je n’aurais pas quelque travail à lui donner. Tout en causant avec lui, je cherchais à deviner pourquoi, dia-