Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/16

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qu’on les y suivît de la hardiesse et de l’entente. S’ils se ménageaient peu, ils ne ménageaient rien. Leur escadre et leur chancellerie furent un dur métier ; j’ai subi l’une et l’autre et la discipline du marin égalait l’exigence du diplomate.

« Oui, je revois votre oncle avec son habit vert et ses bas cramoisis, debout sur son tillac ; son vaisseau laissait à sa suite une odeur de poudre et de cuisine. Le gabier et le marmiton s’y coudoyaient. La succulence des repas y valait la furie des abordages. Le trident de Neptune s’y mêlait en trophée à la fourchette de Comus.

« Et l’autre, avec sa mine de prêtre et de vieille femme proprette. Tous les moyens lui semblaient bons. Il s’appropriait tous les engins. N’a-t-il pas mené avec lui trois ventriloques pour imiter parfaitement sa voix dans les entrevues qu’il voulait pouvoir désavouer et où une sorte de mime contrefaisait son personnage ? Sa garde-robe cachait les défroques de toutes les mascarades ; sa pharmacie contenait des fards et des poisons : il utilisait l’adresse des sbires, l’agilité des acrobates et le sourire des femmes.

« Je les ai retrouvés une dernière fois, fort vieux l’un et l’autre, qui, dans une petite ville,