Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/17

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qui, dans une campagne retirée. L’Amiral était goutteux et l’Ambassadeur était sourd. L’un, s’adonnait à collectionner des coquilles, l’autre, à cultiver des tulipes. Ils en avaient de toutes sortes et fort belles, et chaque année, ils s’envoyaient quelque coquille ressemblant à une tulipe ou quelque tulipe pareille à une coquille et ainsi jusqu’à ce qu’ils mourussent tous deux sans avoir quitté leurs vitrines ou leurs plates-bandes pour joindre une dernière fois leurs mains qui manièrent si rudement et si finement les hommes, et dont le dernier geste fut d’étiqueter une conque et de numéroter un oignon. »

« Oui, répondis-je, ce furent de singulières figures et ce qu’on sait d’eux donne à regretter qu’ils n’aient pas écrit quelque part ce qu’ils en savaient. Que ne racontèrent-ils le détail de leurs manœuvres ou le jeu de leurs menées ? »

Le Marquis avait reposé sur la table sa pipe éteinte qui versa sur le marbre la cendre de sa petite urne noire.

« Fi donc ! s’écria-t-il, en rougissant presque de colère, écrire sa vie, se substituer au hasard qui, des destinées, rassemble dans la mémoire des hommes ce qu’il faut pour en façonner