Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/201

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j’ai même passé la mer. J’ai réglé des contremarches et des victoires. On m’a dressé des arcs de triomphe de bronze et de feuillages d’où s’envolaient, d’heure en heure, un aigle ou une colombe. Par moi, l’imperceptible aboutit au prodigieux : ce sont quelques poignées d’avoine, juste à temps, qui font la charge ; c’est un morceau de pain, à point, qui fait l’assaut. Par mes soins des milliers d’hommes convergèrent au même carrefour et l’étoile des routes devint l’étoile même du Destin. J’ai connu les grandes entreprises, la brusquerie des aventures, l’inattendu des réussites, tout l’infini détail des expéditions, tout l’impromptu des improvistes. On a joint à mon nom des noms de batailles, et le territoire de mon duché compte plus d’une pièce sanglante.

Vainqueur par la force, je restai maître par l’intrigue. Dans mon cabinet s’abouchèrent les secrets des États et le trafic des consciences ; les portes de mes antichambres battirent au chassé-croisé des convoitises. En des heures d’anxiété ou d’attente, j’ai suivi en pensée le galop des courriers sur des routes lointaines : leur vitesse était la clef des conséquences. J’ai