Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/205

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bouquet, détails infinitésimaux et qui sont ce que la vie a de rapide, de furtif, de vraiment fait à la mesure de notre néant.

Mon heure approche ; je sens que je vais mourir et mourir tout entier. Il y a peut-être des survies pour ceux dont l’esprit a connu d’autres joies ; les miennes me bornent ma destinée.

Un tombeau se dresse au bout de mes jardins dans un lieu solitaire. Tu m’y conduiras avec la pompe ordonnée. Ma poussière frivole y reposera. Une massive pyramide de marbre noir en marque le lieu ; l’épitaphe continuera le mensonge de mon existence, car le héros qu’elle exaltera ne fut qu’une chétive sensibilité éphémère qui, des circonstances où les hommes voient un magnifique destin, n’a goûté que les misérables et humbles joies de toute chair périssable.

Mon enfant, je ne reviendrai pas hanter cette demeure ; je suis de ces morts qui ne font pas d’ombre sur l’au-delà. Les quelques petits souvenirs d’heures et d’instants que j’y emporte se dissoudront avec ma cendre. Je suis un de ces morts qui n’ont pas d’ombre ; je ne hanterai pas cette demeure, tu peux y vivre tranquillement