Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/223

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manoir, le matin, au son des flûtes qui chantaient sous des arcades de fleurs ou, le soir, au cri des cors clamant parmi les torches et les épées, toutes, venues des pays lointains où il les avait été chercher, toutes, timides parce qu’il était hautain, amoureuses parce qu’il était beau, et fières de confier leur langueur ou leur désir à l’étreinte de sa main.

Les gais, mélancoliques ou doux souvenirs qu’elles laissaient à la demeure natale où, de leur enfance en fleur, s’était épanouie leur abondante jeunesse, non plus que les larmes de leurs mères ni les sanglots de leurs vieilles nourrices ne les avaient point retenues de partir pour suivre, au loin, le fiancé de leur destin. On quitte tout pour aimer et à peine si, en s’éloignant, elles tournèrent les yeux pour voir encore quelque ancien palais au bord du fleuve, avec ses terrasses en quinconces, ses parterres en guillochis et ses arbres en perspectives. Bientôt elles ne se souvenaient guère d’une antique et pompeuse maison, au coin de la grand’place, dans la ville ; ni des médaillons de la façade qui grimaçaient des figures grotesques, ni du marteau de la vieille porte qui, à midi, était tout tiède de soleil.