Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/24

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de pierre où s’affaissait l’obésité des sacs. On enjambait des chaînes pour s’entraver à des câbles. Les longues planches qui rejoignaient les navires à la terre ployaient, flexibles en leur milieu, sous le pas des porteurs. Les vaisseaux remplissaient la darse. Çà et là, dans l’entrecroisement des vergues, une voile hissée se gonflait, et les mâts, sur le bleu du ciel, oscillaient imperceptiblement. Il y avait là une assemblée de navires de toutes sortes, peints de rouge, de vert et de noir, luisants de vernis ou ternes d’usure. Les coques ventrues frôlaient les flancs étiques. Les uns se boursouflaient en outres, les autres s’amincissaient en fuseaux ; aux proues, se profilaient des figures, grimaçaient des masques ou se façonnaient des emblèmes. On voyait, taillés dans le bois, la face d’une déesse, le visage d’une sainte ou la gueule d’une bête. Des bouches y souriaient à des groins, le tout, barbare, naïf ou saugrenu. Des cales exhalaient l’odeur des denrées et le parfum des épices ; les cargaisons mêlaient l’aigreur des saumures et l’arôme du goudron.

Une petite barque nous prit, mon père, moi et mon bagage, pour nous conduire vers l’es-