Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/246

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en mares silencieuses dont quelques-unes n’étaient déjà plus qu’une place de vase craquelée.

C’est la plaine et ce fleuve ensablé qu’on voit au bout du parc de mon domaine, par une brèche d’arbres et de murs. Personne ne passe plus par là qui pourrait regarder à l’intérieur de mes futaies ou de ma maison. Qu’importe si les volets pourris ne ferment plus les fenêtres. Cette province est déserte et cette demeure est si isolée ! Le silence y est tel que je crois presque y être seul. Alors je m’accoude sur le vieux tome refermé où je lisais depuis de longues heures quelque traité minutieux et baroque, quelque Miroir du Temps ou quelque Horloge de l’Ame. Je fixe un point de mes songes ; ma pensée s’incorpore en l’invisible ; elle en vêt l’informe complaisance et s’y constitue une réalité au delà de mes désirs jusqu’à ce que mon regard s’en fatigue, puis, les yeux clos, je vois les débris de la volontaire idole empoussiérer ma rêverie des lumineuses cendres de son artifice et finir en pluies d’étoiles prismatiques, en poudres de pierreries, en ocellures pareilles à celles qui rayonnent et clignotent aux queues visionnaires des paons !