Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/266

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nuit, une étoile sur la mer, jusqu’au matin une étoile sur la mer !

Mais je m’appliquai encore mieux ce que l’Etrangère me raconta quand elle m’apprit comment les satyres et les faunes la dépouillèrent et la laissèrent nue dans la forêt. Je compris que ses actes et ses sorts représentaient chacune de mes pensées. Je comprenais comment j’avais vécu intérieurement les emblèmes de ses aventures. C’était d’elles que s’était constituée ma tristesse.

Les satyres l’avaient d’abord entourée en dansant. Les hautes herbes fleuries les cachaient à mi-corps et leur bestialité piétinait tandis que leurs mains offraient des grappes de raisin, des fruits et des pommes odoriférantes, mais leurs mains s’étaient vite enhardies.

C’est ensuite qu’elle vécut errante, toute à quelque soin mystérieux et désespéré : un philtre qui créerait des âmes dans la chair poilue des ægypans rôdeurs. Elle soulevait de ses mains frêles d’énormes pierres et, au lieu du baume ou du talisman, c’étaient des crapauds ou de l’eau croupie qui y dormaient ; les serpents glissaient sous les feuilles sèches, et il