Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/309

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son cher visage. L’hypocrisie de sa bonté ne put se survivre, hélas ! et je compris qu’il n’avait pas été heureux.

Nous nous aimâmes peu à peu. Nos maisons se faisaient face. Longtemps il passa devant mes fenêtres et, comme j’étais belle, je le regardais. Un jour, ne me voyant pas, il entra. Je filais dans la petite cour intérieure. Le bourdonnement du rouet se mêlait au roucoulement des colombes, sur le rebord du toit ; parfois, une plume tombait ; au-dessus de nous des nuages gonflés s’effilochaient dans le carré du ciel bleu et chaud. Il entra et s’assit auprès de moi ; chaque jour il revint. Il eut toute mon âme. Il le savait et nous nous le disions. Il posséda toutes les clefs de mes pensées et nous vécûmes dans la commune divination de nous-mêmes. Il fut mon maître spirituel, mais nos lèvres qui se dirent tout ne se touchèrent jamais. Les siennes, pourtant, pâlissaient peu à peu ; son sourire s’endolorit mais garda sa douceur, et s’il eût persisté sur sa face morte, j’ignorais à jamais l’irréparable tort de mon crime et de ma folie.

Je l’ai su, mais trop tard, hélas ! je lésais son