Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/310

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attente par des dons inutiles. L’amour est pareil à lui-même, et la réciprocité de nos sentiments en annulait le prix. L’effigie seule eût différencié un même métal dont nous échangions en aveugles les monnaies vaines. Qu’importait la connivence de nos pensées ? Y a-t-il rien dans une âme de femme qui n’existe dans un esprit d’homme ? Ah pourquoi me suis-je refusée à ses caresses, pourquoi n’ai-je pas animé de mon souffle la statue mystérieuse que façonnait, à tâtons, notre double amour ? Ah ! comme il le souhaita dans le silence de son désir et le secret de sa convoitise, et je n’ai pas compris la muette demande de ses lèvres qui ne touchèrent les miennes que mortes, mortes d’elles à jamais !

C’est ma bouche que j’aurais dû offrir à sa bouche, et ma chair et mes cheveux et les ongles de mes mains. Il eût goûté la fraîcheur de ma peau et le parfum de ma beauté. Nue, j’aurais habité ses songes après avoir partagé sa couche, et j’aurais laissé dans son souvenir comme l’empreinte de mon corps sur du sable.

O sables ! sables, sables du Styx, sables noirs des grèves éternelles, vous recouvrirez bientôt