Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/33

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la mer autour de nous. Nous naviguions lentement sur une eau violette dans l’humide douceur de ces tissus d’air, transparents et fripés.

Le pilote gouvernait avec circonspection. L’atterrissage était dangereux, le point célèbre par ses naufrages. Une vague superstition entourait l’île fameuse et charmante, divine et jadis sirénéenne.

Subitement, voiles carguées, le Sans-Pareil courut sur son erre et s’arrêta : l’ancre mordit ; le fin brouillard arachnéen s’attacha aux mâts, pendit en draperies.

On se trouvait fort près de l’île invisible. Peu à peu, une odeur exquise d’arbres et de fleurs se répandit.

L’ordre que chacun restât à bord vint couper court à notre curiosité. Nul ne devait, cette nuit, aller à terre. Les bruits de l’île nous venaient lointains et comme subtilisés par la brume.

Mes compagnons se retirèrent l’un après l’autre. Tout s’éteignit. Je m’accoudai sur le bordage écoutant l’oscillation imperceptible des mâts et le pas d’une sentinelle, et je restai l’oreille tendue vers l’ombre. Plus tard il me sembla entendre de la musique. Elle chantait délicieusement,