Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/68

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échanges consanguins. Le temps a dispersé des formes jadis conjointes. L’homme s’isola de ce qui l’environne et se retira dans son infirmité solitaire. Il a rétrogradé croyant se parfaire. Les dieux se muaient jadis aux apparences de leur choix, y prenaient le corps de leur désir, aigles ou taureaux ! Des êtres intermédiaires participèrent à cette faculté divine ; elle dort en nous, notre passion y crée un satyre intermittent ; que ne sommes-nous incorporés aux désirs qui nous cabrent ! Il faut devenir ce que l’on est ; il faut que la nature se complète et retrouve les degrés qu’elle a perdus. »

Mon compagnon ne cessait de me parler fébrilement. Je suivais avec peine son discours qu’il paraissait continuer sans prendre garde à ma présence. Cependant le soleil s’était couché et, à mesure que le crépuscule augmentait, le singulier personnage semblait s’éteindre peu à peu ; il perdait l’éclat roux dont la lumière de cette fin de journée avait imprégné son vêtement de cuir tanné, sa barbe et ses cheveux. Son aspect entier se fonçait ; puis son exaltation s’apaisa en même temps que le paysage changeait. Bientôt, nous vîmes miroiter l’eau d’un fleuve.