Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/67

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vous l’empreinte, et il me désignait une marque presque effacée, c’est celle d’un faune. On m’a signalé aussi la présence d’un centaure. Je me suis embusqué plusieurs nuits pour le surprendre. On ne le voit pas mais on l’entend hennir. Il doit être jeune, le poitrail maigre et la croupe encore bourrue. Au clair de lune il vient se regarder aux fontaines où il ne se reconnaît plus. Il reste seul de sa race ou plutôt il la recommence. Elle a été détruite et pourchassée comme celle des nymphes et des satyres, car ils existaient. On raconte que, jadis, des bergers qui le surprirent endormi en amenèrent un au proconsul Sylla. Des interprètes l’interrogèrent dans toutes les langues connues. Il ne répondit que par un cri qui tenait du chevrotement et du hennissement. On le relâcha, car les hommes de ce temps savaient encore un peu des vérités obscurcies depuis. Mais tout ce qui exista peut renaître. Cette terre est propice à l’œuvre fabuleuse. L’herbe sèche a la couleur des toisons ; la voix des sources murmure ambiguë ; ces rochers ressemblent à des bêtes inachevées. L’homme et l’animal vivent assez proches pour que se fassent entre eux des