Page:Régnier - La Cité des eaux, 15e éd.djvu/144

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Et toute la nuit vaste, immense et solitaire
Et l’ombre aventureuse et l’espace incertain
S’ouvrent au cabrement de son galop divin.

Ô vertige ! L’élan du nocturne Coureur
M’emporte. La ténèbre est sourde et sans lueur.
Le sol tantôt s’éboule et tantôt s’affermit ;
L’air rapide m’enivre et m’étouffe à demi ;
Le Centaure tantôt se cabre et tantôt fonce ;
C’est en vain qu’en passant, la haie avec sa ronce
Le retient au poitrail ou le griffe à la croupe,
Sa course furieuse et brusque s’entrecoupe
Du fossé qu’il enjambe ou du ravin qu’il saute.
Ici, le sable mou cède ; là, l’herbe haute
L’entrave ; le caillou roule et ronfle avec bruit
Derrière ce passant qui défonce la nuit ;
Le terrain sous son pied s’ébranle, gronde ou sonne ;
Une montée en vain l’essouffle et l’époumonne
Que sa pente le rue et redouble l’élan
Du Centaure qui va, passe, monte, descend
Et, d’une fougue égale et d’un même jarret,
Sort ruisselant du fleuve et boueux du marais,
Et, franchissant taillis, plaines, bois et vallons,
Parcourt éperdument l’ombre sans horizon,