Page:Régnier - Les Jeux rustiques et divins, 1897, 2e éd.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
118
LES JEUX RUSTIQUES ET DIVINS

Chantèrent par delà les arbres du verger
Avec des flûtes en éveil dans l’air léger.
La terre retentit du galop des centaures ;
Il en venait du fond de l’horizon sonore.
Et l’on voyait, assis sur la croupe qui rue,
Tenant des thyrses tors et des outres ventrues,
Des satyres boiteux piqués par des abeilles.
Et les bouches de crin et les lèvres vermeilles
Se baisaient, et la ronde immense et frénétique.
Sabots lourds, pieds légers, toisons, croupes, tuniques,
Tournait éperdument autour de moi qui, grave,
Au passage, sculptais aux flancs gonflés du vase
Le tourbillonnement des forces de la vie.


Du parfum exhalé de la terre mûrie
Une ivresse montait à travers mes pensées,
Et dans l’odeur des fruits et des grappes pressées,
Dans le choc des sabots et le heurt des talons,
En de fauves odeurs de boucs et d’étalons,
Sous le vent de la ronde et la grêle des rires,
Au marbre je taillais ce que j’entendais bruire ;
Et parmi la chair chaude et les effluves tièdes,
Hennissement du mufle ou murmure des lèvres.
Je sentais sur mes mains, amoureux ou farouches,
Des souffles de naseaux ou des baisers de bouches.