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POÈMES DIVERS


LE COMPAGNON


Derrière la colline et derrière le fleuve,
Compagnon éternel et que tu ne vois pas,
Sur le sable, la feuille morte et l’herbe neuve,
Écoute le passé qui marche dans tes pas.

Du fond de ta mémoire et du fond de ta vie
Il s’avance, se tait et s’approche, et sa main
Cueille l’ombre des fleurs que nous avons cueillies ;
Il s’obstine à nous suivre et sait notre chemin.

Mais si pour l’entrevoir tu retournes la tête,
Tu l’entendras soudain s’en aller devant toi,
Tu n’as qu’à t’arrêter si tu veux qu’il s’arrête,
Et il reste invisible à celui qui le voit.

Il a planté jadis la treille dont tu manges
La grappe fraîche ou âpre à ta bouche, et c’est lui
Qui retailla le cep pour les jeunes vendanges
Que tes lèvres enfin vont goûter aujourd’hui.