Page:Régnier - Les Jeux rustiques et divins, 1897, 2e éd.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
65
ARÉTHUSE

 
Ô forêt qui ris vaste d’or et de soleil
De la voir nue ainsi de la nuque à l’orteil
Éteins ton flamboiement d’eaux, d’arbres et de roses,
Sois obscure ! tais-toi, profonde ! chaste, sauve
Celui qui vint vers toi couvert du manteau noir,
Celui qui se révolte et qui ne veut plus voir
Ton immense baiser qui l’enivre et l’étouffe
Lui monter peu à peu en riant à la bouche.
Vent de l’ombre ! viens-t’en des feuilles et des antres
Vers l’Étrangère en fleur qui dévoile son ventre
Et, les seins nus, étale, obscène en sa beauté,
Sa chair de printemps ivre et ses cheveux d’été !
Trouble l’eau qui la mire et convoite sa grâce
Et souffle-lui ta voix furieuse à la face
Et emporte avec toi, par delà mes pensées,
Les paroles que cette bouche a prononcées,
Ivre de sa chair moite et de ses duvets chauds,
Qui, lèvre à lèvre, ont fait balbutier l’écho !
Et moi, si j’ai rêvé sa nudité impure
Au bord des mers, jadis, à l’aurore, je jure
Que je voulais, magicien au manteau noir
De la tristesse et de la science et du soir,
Éveiller dans ce corps d’où les Dieux l’ont chassée
Une âme grave égale à ma haute Pensée !
Pourquoi es-tu venue ainsi sur mon chemin ?
Lorsque je dors je sens ton souffle sur mes mains